"Mon évasion du tunnel de Zwierzieniek - 12 août 1942", par Rémi GESLAIN Président (2006/2016) de « Ceux de Rawa-Ruska » de Basse-Normandie et Mayenne
(Ce texte fut lu lors d'une conférence à FLERS - Orne – en 1992, conférence à laquelle furent conviés des déportés dont M. IGEL (Auschwitz), des Combattants volontaires de la Résistance dont M. GESNELE et des évadés de guerre).
"...Avant d'en arriver à mon évasion de Rawa-Ruska, je dois dire que cette évasion a été précédée de deux échecs, le premier en avril 1941 à Worms et le second à Karlsruhe, à quelques kilomètres de la frontière française. Ensuite, ce fut donc le Stalag 325 où je suis arrivé par le deuxième convoi.
Début août 1942, des volontaires furent requis pour travailler au Kommando de Zwierzieniek, à environ 60 kilomètres du camp de base ; mon camarade Albert LALET (décédé à 100 ans en 2014) et moi, nous décidâmes de nous porter volontaires. Dès notre arrivée, nous apprîmes l'existence d'un tunnel creusé par des mineurs du Nord. Le 12 août vers 21H, nous fûmes informés que "le moment était arrivé et que ce serait pour la nuit" ; comme il se doit, les artisans du tunnel partirent les premiers et d'autres suivirent dont Albert et moi. Les départs se firent par groupe de 4 et ce, toutes les 5 minutes. A la sortie du tunnel, un camarade avait préalablement cisaillé les barbelés permettant ainsi le passage des hommes, à quatre pattes. A l'angle de l'enceinte du camp, un mirador était occupé par une sentinelle armée ; la relève des gardiens avait eu lieu la veille et ceux-ci faisaient la fête bruyamment dans le baraquement voisin, pour célébrer le fait qu'ils n'avaient pas été envoyés sur le front de l'Est... : les choses se présentaient plutôt bien ! Vers 23H, Albert et moi nous engageâmes dans le tunnel à quatre pattes, puis nous franchîmes les barbelés et quelques instants après..., nous étions dehors..., libres !
La pleine lune éclairait la campagne environnante ; la boussole que j'avais fabriquée en secret n'était donc pas utile d'autant que j'ai, de suite, repéré la Grande Ourse et la dernière étoile du Charriot indiquant le Nord. On entendait les chiens aboyer alentour...
Autour de nous, tout était calme y compris la sentinelle vraisemblablement endormie par l'abus d'alcool. Aussitôt sortis, nous décidâmes de partir deux par deux afin d'augmenter nos chances de passer inaperçus.
C'est à ce moment-là, qu'Albert LALET et moi prîmes la bonne décision à savoir prendre la direction inverse de nos camarades dont la grande majorité avait décidé de rejoindre la Hongrie après avoir traversé la Tchécoslovaquie. Nous décidâmes donc de rejoindre Varsovie ; nous savions en effet que la Pologne était favorable à la France et nous pensions ainsi pourvoir trouver de l'aide parmi la population. Nous fîmes effectivement le bon choix car c'est bien vers le Sud que furent dirigées les recherches allemandes. Le lendemain, nous restâmes cachés dans un champ entre deux sillons de pommes de terre. La nuit venant, nous nous présentâmes dans une ferme où nous pûmes échanger nos vêtements militaires contre des vêtements civils et recevoir un peu de nourriture. Le jour, nous marchions à la boussole et la nuit "aux étoiles" : nous marchâmes environ 6 jours à travers la campagne. Et puis, un jour, une voie ferrée..., et un train qui semblait circuler dans le sens Nord/Sud ; ce train, comble de chance, s'arrêta pour je ne sais quelle raison. Nous nous hissâmes sur un plateau non couvert ; malheureusement repérés au passage d'une petite gare, nous fûmes obligés de quitter le train et de continuer à pied. Quelques jours plus tard, nous atteignîmes la Vistule ; un prêtre polonais nous informa qu'un bateau de marchandises en partance pour Varsovie devait partir en fin de journée ; il fallait hélas payer notre passage mais avec la complicité du prêtre, nous pûmes embarquer sans trop de difficultés.
Mais à l'arrivée, mauvaise surprise : deux soldats allemands nous attendaient, sans doute pour contrôler le trafic de marché noir très florissant à cette époque en Pologne occupée. L'un des deux m'arrêta et me dit : "comment t'appelles-tu ?" Et moi de répondre, sans hésitation : "Gelainski", et c'est ainsi qu'il me laissa passer ! A quoi ça tient la Liberté... Enfin à Varsovie, nous nos rendîmes à la Croix Rouge où nous fûmes hébergés quelques jours. Puis nous fûmes accueillis 6 rue Wielka (je m'en souviens !) par l'épouse d'un Colonel de l'armée polonaise qui avait été exécuté à Katyn avec 6000 officiers de l'armée polonaise. Malgré les risques encourus, elle accepta de nous loger à charge pour nous de nous débrouiller quant à la nourriture. Puis elle nous dirigea sur un groupe de 15 travailleurs volontaires français qui se rendaient en permission, en France : 15 travailleurs, 15 billets de train ; mais le contrôleur peu regardant ne remarqua pas qu'Albert et moi avions embarqué avec nos camarades... Cela supposait néanmoins qu'à chaque arrêt, nous devions descendre du train puis remonter par l'arrière, sans être vus. La chance nous souriait encore : il n'y eut jamais de comptage ! C'est à ce moment-là que nous commençâmes à croire sérieusement en la réussite de notre évasion ! Mais tout n'était pas gagné, il restait encore une longue route à faire à travers l'Allemagne, la Hollande et la Belgique. Prudent..., arrivé à la frontière entre l'Allemagne et la Hollande, je me débarrassais de mon livret militaire et de ma plaque dans les toilettes du train...
Enfin, nous arrivâmes en France, Albert et moi nous séparâmes, mais en ce qui me concernait, rien n'était terminé ! Arrivé en Zone libre, je fus repris sur la ligne de démarcation ; emprisonné à la prison de Tours, j'étais bien décidé à ne pas refaire le voyage dans le sens inverse. Embarqué à nouveau dans un train en direction de l'Allemagne, je profitai du ralentissement du train et de la sentinelle endormie pour, à nouveau, me "faire la belle" en baissant la vitre du wagon et en m'élançant à l'extérieur ; la réception sur le ballast fut un peu rude mais après ce que j'avais vécu... !
J'étais donc LIBRE et la Liberté c'est comme une addiction, lorsqu'on y a goûté, on ne peut plus s'en passer ! Ce n'est que longtemps après que j'appris le sort réservé à certains de mes camardes et plus particulièrement, Pierre Vandenbosch et Victor Conan qui furent abattus. Des décennies plus tard, j'eu l'immense joie de réunir à mes côtés, leurs filles respectives, Michèle et Blandine".
Rémi GESLAIN, décembre 2015
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